Pourquoi être heureux quand on peut être normal / Jeanette Winterson
Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? / Jeanette
Winterson. Ed. de l'Olivier, 2012, 267 p.
Autobiographie d’une féministe,
«Pourquoi être heureux quand on peut être normal» est avant tout un tableau
doux-amer de la relation très particulière mère-fille.
Ici, la situation est
particulière et difficile. Abandonnée à six semaines et adoptée par une mère
dépressive, à la personnalité troublée se réfugiant dans la religion et un père
absent, Jeanette décrit ainsi son enfance : «Durant les seize années où
j’ai vécu à la maison, mon père était soit à l’usine, soit à l’église –c’était
son chemin de vie. Ma mère était debout toute la nuit et déprimée tout le jour.
C’était son chemin de vie.» p. 68.
On le comprend dès les premières
pages, Mrs Winterson n’était pas une mère attentive, chaleureuse ni même
sécurisante.
Jeanette n’avait aucune intimité,
et cette mère de substitution passera tout son temps à vérifier les agissements
de sa fille. Relation faite de suspicion et de crainte, qui se symbolise par
cette appellation très distante tout au long du livre : Mrs Winterson au
lieu de Maman.
Un autre symbole
stupéfiant : Jeanette n’a jamais détenu de clé de la maison familiale. Sa
mère ne lui faisait pas assez confiance pour lui confier les clés de «chez
elle».
Conséquence terrible : Jeanette
pouvait passer des nuits entières dehors si ses parents refusaient de lui
ouvrir. Cela en dit long sur l’enfance de Jeanette, qui évoque elle-même
Dickens, en souvenir de ces années.
Portrait aussi d’une Angleterre
du Nord des années 60 et de sa classe ouvrière, de la condition féminine de
cette époque où exister en dehors d’un homme ou de son foyer était sinon
inconcevable, du moins marginal.
Ce passé difficile est pourtant à
l’origine de ce qu’est devenue Jeanette Winterson.
Son premier combat a été de
souhaiter faire des études. Et de choisir pour cela un lieu presque
inaccessible pour elle : Oxford.
De ce cadre misogyne et austère,
elle gardera pour toujours une curiosité intellectuelle et un amour des livres.
Ces livres qui lui sont si chers, et qui étaient interdits de séjour dans
cette sombre maison des Winterson. Sa mère adoptive interdisait tout livre non
dédié à Dieu, et six livres étaient seuls autorisés dans cette maison. La pièce
maîtresse était bien sûr la Bible, qui fut la seule lecture de Mrs Winterson
qu’elle acceptait de partager avec Jeanette.
En revanche, pour les «objets du
délit» dissimulés sous le matelas de la jeune fille, tel «Femmes amoureuses» de
D.-H. Lawrence, finalement découverts par Mrs Winterson, un autodafé eut lieu dans
leur jardin pour condamner définitivement ces lectures pernicieuses.
Ces conditions d’existence si
pénibles, Jeanette les a subies 16 ans.
Adolescente et à l’écoute de ses
premiers émois, elle découvre son homosexualité, incompatible avec les idées de
sa mère adoptive, qui questionnera Jeanette de cette phrase qui donne le titre
à son roman : «Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?»
Etudiante à Oxford et au contact
de personnes plus aimantes, elle devient un écrivain en vue, féministe avérée.
Cette autobiographie est
intéressante par cette expérience de vie et ces portraits brossés de personnes
névrosées et inaptes à la vie sociale, personnes ordinaires dont les
souffrances enfouies et inavouées éclaboussent par éclats le chemin de vie et de
joie de ceux qu’ils croisent.
Elle est intéressante avant tout
par cette formidable résilience dont fait preuve l’auteur.
Ces obstacles et difficultés
connus durant l’enfance sont responsables de cette personnalité forte et
équilibrée qu’est devenue cette femme.
Que serait-elle devenue en vivant
une enfance classique et heureuse ?
Sa résistance aux coups de la vie
l’a rendue heureuse de vivre et décidée à profiter du cadeau de l’existence.
C’est un fabuleux espoir, que la
fatalité n’existe pas et que les retournements de situation illuminent nos
routes.
Cette œuvre soulève des questions
toujours d’actualité : qu’est-ce être féministe ? Est-ce se battre,
combattre tout et tout le temps ? Ou plutôt lâcher parfois prise, se
sentir suffisamment en confiance pour accepter de recevoir l’amour de
l’autre ?
Comment notre personnalité se
forge ? Avec quels éléments ? Devoir combattre une forte adversité,
et en sortir vainqueur est-il nécessaire à l’affirmation de soi ?
Enfin, question majeure et
insondable : de quelle relation affective maternelle nous
nourrissons-nous ? Est-il possible d’en faire un jour le deuil ou de nous en
détacher définitivement ?
Comment expliquer qu’une relation
maternelle maltraitante ne soit pas purement rejetée par l’enfant, qui aimera et
défendra paradoxalement toujours ce parent défaillant, qui reste SON parent à
défendre ?
Comme le dit Jeanette, Mrs
Witerson est un monstre, mais SON monstre. Elle ne supportera par conséquent
aucun portrait à charge de sa mère, ce dont le lecteur aura la preuve en fin de
roman.
Œuvre à découvrir pour sa
modernité et les questions indémodables qu’elle contient.
ⓒVéronique Meynier, le 09/04/2013. Article mis à jour le : 15/11/2020.
ⓒVéronique Meynier, le 09/04/2013. Article mis à jour le : 15/11/2020.
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