S'Adapter / Clara Dupont-Monod / Femina 2021
S’adapter : roman / Clara
Dupont-Monod.- Paris : Stock, 08/2021, 170 p.
Citations de Clara Dupont-Monod.
«C’est l’histoire d’un enfant
différent, toujours allongé, aux yeux noirs qui flottent, un enfant inadapté
qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C’est
l’histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature
puissante, de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées.»
(4ème de couverture).
S’Adapter a reçu le Prix Femina, bien mérité.
S’Adapter relate avec justesse le drame de la différence, la fin de l’insouciance
pour une famille qui accueille un enfant, né handicapé.
La construction de S’Adapter est
percutante, rend l’histoire dynamique, vivante.
Chaque chapitre est celui d’un membre de
la fratrie, qui donne son ressenti, de la naissance de ce frère inadapté, qui
l’obligera à s’adapter à cette différence, pour réussir à cohabiter, ce qui
changera à jamais sa vie.
Le grand frère d’abord. L’ainé. Qui voyait
sa vie et les autres, comme une cour de récréation. Joyeuse. Sans contrainte.
Et qui, à l’arrivée de ce petit frère particulier, deviendra, un autre.
Protecteur. Aimant. Et plus solitaire.
Petit frère différent qui sera à jamais sa
raison d’être, d’être au monde, d’être avec quiconque. Ou ne plus pouvoir être
au monde. Ne plus pouvoir être vraiment avec un autre. De la même façon, avant
d’avoir rencontré la différence, et de s’être autant adapté, d’être devenu un
peu moins formaté, d’avoir lui-même changé, d’avoir autant aimé.
Surprotecteur envers la fragilité d’un
être venu au monde sans aucune défense.
La cadette, narratrice secondaire ensuite.
De cette vie qui bascule, qui change, à cause de ce frère cabossé, qui ne
rentre dans aucune case de la normalité, de ce que jusqu’alors elle
connaissait.
Cette nouveauté qui la contraint à
s’adapter et à être surtout reléguée à la dernière place.
Toujours derrière ce petit frère, que
l’ainé qui l’adorait, met désormais toujours au sommet de ses centres
d’intérêt. La cadette n’existe plus de la même façon depuis cette naissance
d’un frère dépendant et amoindri. Elle lui en voue une colère, une jalousie,
qui prennent chez elle une illusion de dégoût pour ce frère désarmant, contre
lequel elle n’a aucune arme pour avoir l’impression d’exister autant dans le
regard de sa famille, autant qu’avant.
En dernier lieu, c’est le dernier-né, qui évoque
ce frère handicapé, né et mort, avant lui, dans cette singulière fratrie.
Il ne l’aura jamais connu. Mais ce frère
fait partie de son histoire. Il garde une place de choix dans la fratrie, comme
s’il en faisait toujours partie, ne l’avait jamais quittée ("Il
sentait, autour de cette table, planer le fantôme de l'enfant et il n'aurait
jamais pensé qu'un fantôme puisse avoir tant de poids." P. 149).
Son frère ainé, sa sœur ne nouent une
relation avec lui, qu’à partir de ce que tous les trois ont partagé, avant sa
propre naissance.
Roman magnifique du lien fraternel, du
lien familial.
Roman magnifique de ce sentiment intense
d’insouciance que l’on goûte vraiment qu’au moment où un traumatisme le fait
s’éteindre, en faisant alors estimer toute la saveur précieuse que tout
lâcher-prise lié à une existence facile dégageait, dont nous avions alors la
chance insoupçonnée de bénéficier.
Ce bien-être, cette illusion de pouvoir
vivre tous les Possibles, cette naïveté où chacun baigne avant que la brutalité
de la vie ne vienne le dessoûler. Lui rappeler que Vivre, ce n’est pas baigner
dans un conte de fées. Mais seulement accepter, peu à peu, et de plus en plus
souvent, les coups du sort, qui restent des épreuves, mais toujours une
occasion de grandir, de penser à Nietzsche, et à cette idée que ce qui ne nous
tue pas nous rend plus fort.
Très joli roman à découvrir sans aucune
hésitation.
© Véronique Meynier, le 12/01/2022
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